Délai pour saisir le juge de l’impôt après un rejet implicite d’une réclamation contentieuse né du silence de l’administration fiscale : délai raisonnable ou délai infini

Délai pour saisir le juge de l’impôt après un rejet implicite d’une réclamation contentieuse né du silence de l’administration fiscale : délai raisonnable ou délai infini

Publié le : 13/11/2020 13 novembre nov. 11 2020

Le Conseil d’État vient de préciser que la règle du délai raisonnable pour introduire une action devant la juridiction administrative ne s’applique pas au contentieux fiscal d'assiette[1].

 
  • Faits à l’origine de l’avis du Conseil d’État
Un contribuable avait présenté une réclamation contentieuse qui avait été implicitement rejeté par l’administration fiscale (silence de l’administration au-delà du délai de six mois après l’introduction de la réclamation).

Plus de six ans après ce rejet implicite né du silence de l’administration, le contribuable introduit une requête devant le tribunal administratif pour contester ce rejet implicite.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise déclare cette requête irrecevable en raison de sa tardiveté (réclamation introduite au-delà d’un délai raisonnable). Le contribuable interjette appel devant la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles arguant qu’aucun délai de recours ne lui était opposable en raison de l’absence de réponse expresse de l’administration à sa réclamation contentieuse.

La juridiction d’appel estime que cette affaire comportait une question de droit nouvelle et qu’il était plus sage de solliciter l’avis de la haute juridiction administrative.

 
  • Problématique sous-jacente : articulation entre délai légal de recours (deux mois) et « délai raisonnable » d’origine prétorienne (un an en règle générale).
Pour appréhender cette problématique, il faut bien intégrer deux notions : délai légal de recours contentieux et délai raisonnable. Le premier délai s’applique en cas de rejet exprès d’une réclamation (courrier notifiant ce rejet), le second pourrait s’appliquer en cas de rejet implicite.
 
Délai de recours de deux mois : c’est un délai prévu par la loi (article R.199-1 du livre des procédures fiscales). Il s’agit du délai de contestation d’un rejet explicite d’une réclamation contentieuse. Ce délai qui est de deux (2) mois ne peut courir tant qu’une décision expresse de rejet n’a pas été régulièrement (mentionnant les délais et voies de recours) portée à la connaissance du réclamant ;
Délai raisonnable de recours : c’est une décision du Conseil d’État du13 juillet 2016, Czabaj[2] qui a est à l'origine de cette notion de délai raisonnable. Il est en général d’un an. Ce délai est susceptible de s’appliquer lorsque le délai de recours de 2 mois ne s’applique pas.
À l’instar du contentieux général en droit administratif, le silence gardé par l’administration fiscale au bout d’un certain temps, après une réclamation contentieuse, s’analyse comme un rejet de la réclamation : il s’agit d’un rejet implicite (par opposition au rejet explicite).

Dans le cadre du contentieux général, le Conseil d’État avait estimé, dans l’arrêt Czabaj précité, que le délai d’agir devant le juge administratif ne peut être indéfini même en cas d’une décision de rejet irrégulière (ne mentionnant pas les délais et voies de recours), qu’il appartient à l’administré qui veut attaquer la légalité d’une décision administrative, d’agir dans un délai raisonnable. Ce délai raisonnable a été estimé à un an maximum.

En contentieux fiscal, les praticiens se sont interrogés sur la possibilité d’étendre cette solution aux décisions de rejet implicite.

 
  • Question soulevée devant le Conseil d’État
La question soulevée devant la haute juridiction administrative se déclinait en l’alternative suivante :
  1. Doit-on considérer que l'absence de décision expresse en contentieux fiscal ne fait obstacle qu'au déclenchement du délai de droit commun de deux mois et qu'une décision implicite ne fera, inversement, pas obstacle au déclenchement du délai raisonnable d'un an, sous réserve que le demandeur ait eu connaissance de cette décision implicite ;
     
  2. Ou doit-on, au contraire, étendre la solution retenue pour le délai de droit commun de deux mois au délai raisonnable et exiger, pour le déclenchement de ce dernier délai, l'intervention d'une décision explicite 

En d’autres termes, le contribuable dont la réclamation contentieuse n’a pas donné lieu à une réponse explicite de l’administration dans un délai de 6 mois, ce qui s’analyse comme un rejet de la réclamation, doit-il pouvoir contester indéfiniment la légalité de ce rejet devant le juge de l’impôt ou sa possibilité de contester un rejet implicite est-elle limitée par un délai raisonnable ?

 
  • Réponse du Conseil d’État
Le Conseil d’État énonce clairement que le principe du délai de recours raisonnable n’est pas applicable en cas de rejet implicite d’une réclamation. Le contribuable ne voit pas son action enserrée dans un délai quelconque, lorsqu’il n’a pas été destinataire d’une décision de l’administration fiscale : « aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée ».

« aucun délai ne peut courir » signifie que ni le délai de saisine de deux mois prévu par l'article R.199-1 du LPF, ni le délai de recours raisonnable d'un an fixé en cas de rejet de réclamation ne mentionnant pas les délais et voies de recours ne sont applicables au contribuable à qui l’administration fiscale n’a pas daigné répondre.

Il appartient à cette dernière, lorsqu’elle veut éviter de pouvoir potentiellement être attraite indéfiniment pour des réclamations dont elle n’a pas souhaité donner une suite favorable, de sortir de l’implicite, et épouser un parallélisme des formes : répondre de la même manière que la réclamation lui a été présentée, c’est-à-dire, par une décision expresse de rejet.

 
  • Perspectives
Pour les contribuables qui ont introduit une réclamation il y a plus d’un an et qui n’ont toujours pas reçu une décision expresse de rejet de leur réclamation, la possibilité de saisir le tribunal reste toujours possible. Il convient d’étudier les chances de succès d’une action devant le tribunal et d’intenter, le cas échéant, une action.





Le cabinet d’avocat Malick DIOUF situé à Épône, dans les Yvelines, vous accompagne dans le cadre d’une réclamation contentieuse, ou pour contester une décision de rejet (explicite ou implicite, et, de manière générale, dans le cadre du contrôle fiscal (ESFP ou vérification de comptabilité).
 
[1] CE avis 21-10-2020 n° 443327, 8e et 3e chambres réunies, SOCIETE MARKEN TRADING c/ MINISTERE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE LA RELANCE
[2] CE ass. 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763

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